this is my life. Me dire que ma vie vaut bien plus que celle d’un autre me renvoie à ma supériorité face à tous ces intrus que vous êtes. Les erreurs de la nature comme vous devraient être éradiquées. Supprimées. Définitivement. Pour le plus grand bonheur des uns et le plus grand malheur des autres. Mais dîtes-vous bien que vous ferez bien plus d’heureux que de malheureux, chers êtres infâmes.
Non. Ma vie n’est pas des plus ennuyeuses ; bien au contraire d’ailleurs. Je ne suis pas ce genre de fils de riche à avoir un père ministre ou encore chef d’une grande entreprise. Non, mon père s’en serait bien trop vite lassé. En parlant de mon paternel, je vous avouerai que je le respecte comme je n’en respecterai pas un autre. C’est sans doute pour cette raison que, depuis ma plus tendre enfance, à chaque instant passé avec lui, je lui obéis au doigt et à l’œil. Aucune menace n’aurait fonctionné. La seule chose que je lui demandais c’était de l’attention. Et il m’en a donné, tout en me pourrissant jusqu’à la moelle avec tous ses cadeaux de riches. On commence par une simple cuillère en or, et on en finit avec un Etat entier. Parfait. C’était tout simplement parfait pour moi. Lui demander plus ? Qu’est-ce que j’aurais encore pu lui demander ? Pas grand-chose. Ou peut-être bien que si. Une seule et unique chose, mais sans doute trop dure pour lui. Accepter mon homosexualité, c’est tout ce que j’aurais pu vouloir. Oui, au courant, ça il l’a très vite été. Découvrir son fils en plein acte, n’est-ce pas la meilleure façon de le comprendre ? Bien sûr, il n’a pas mis ma génitrice au courant. Bon dieu ce qu’elle aurait crié, cette pauvre femme. Sans doute nous aurait-elle laissé un corps sans vie sur le dos. A cette place, il a préféré fermer les yeux là-dessus et se persuader que j’étais bel et bien l’homme qu’il croyait, que je lui donnerai des enfants et que ma femme me traiterait comme le plus grand des rois. Parfait. Et pour cela, qu’a-t-il fait ? Une chose bien simple : me chercher une fiancée. Et non pas une riche. Non, il a fallu qu’il cherche plus pauvre que nous ; et c’est là que l’on se pose la question du « a-t-il encore toute sa raison ? » Mais j’ai eu une réponse assez rapidement. Il l’a perdu depuis bien longtemps.
Être sino-coréen n’est ni une honte, ni une opportunité. Cela me change peut-être quelque peu de tous ces autres coréens, mais je ne suis pas un meilleur homme pour autant. Durant sa jeunesse, mon père fut un athlète chinois de haut niveau, ce qui explique sans doute sa carrure plutôt imposante et bien formée en ces temps encore. Quand je vous disais qu’un bureau l’aurait ennuyé au point de le tuer, est-ce que vous me croyez à présent ? Le sport a toujours été sa passion, et longtemps, il a essayé de me la passer, comme s’il avait cru que l’hérédité aurait fonctionné sur ce point-là. Et pourtant, il a bien vite remarqué que j’étais loin de ses espérances, et surtout pas sportif. Dommage pour lui, c’en était un peu trop loin. Quant à ma mère, elle a tout d’abord fait ses débuts aux côtés des plus grands créateurs, avant de se lancer seule dans sa propre ligne vestimentaire qui marche fort bien en ces jours encore. Ses coups de crayon sont formidables, voire même impressionnants. J’aurais pu la vénérer et le lui montrer, mais j’ai préféré me montrer plus fort, plus rusé et plus talentueux qu’elle. A croire que l’hérédité a bien mieux fonctionné de ce côté-ci, depuis mon plus jeune âge, me donner un crayon et une feuille c’est recevoir une œuvre d’art de la plus grande des beautés. Quelque chose d’éblouissant. La perfection de mes gestes et de mon éducation firent que mes géniteurs ne voulurent aucun autre enfant, bien assez satisfaits avec moi déjà. Et être fils unique se trouvait être plutôt plaisant. Jusqu’au moment où vous comprenez que l’avenir de la famille est entre vos mains. Dîtes-vous bien que ça et le fait d’être homosexuel ne collent pas véritablement ensemble. Pas de choix, avoir une femme et être père m’ont été imposés depuis peu.
Être un fils de riche, le meilleur des fils à papa, avoir sans cesse des récompenses affectives et matérielles, c’est ma vie. Et ce depuis des lustres. L’argent est une sorte de raison de vivre, parce qu’après tout, sans cela, je n’aurais pas grand-chose, et peut-être pas grand monde non plus. Oui, je suis le meilleur, mais sans argent, je n’aurais sans doute pas eu cette assurance depuis tout petit, qui fait que chaque personne m’installe sur un piédestal. Mon arrogance, elle, m’a souvent valu des problèmes, et pas des moindres. N’allez pas vous mettre en tête que je suis l’un de ces fils à papa à tout respecter, à ne jamais rien défier, peureux, solitaire et studieux. Non, sans doute même suis-je le contraire de tout cela. J’aime être en charmante compagnie, et rarement de la gente féminine, mis à part peut-être mon amie de toujours et meilleure amie, sans qui je n’en serai pas là, sans qui je ne vivrai pas ainsi. D’ailleurs, cette petite cerise est sans doute la femme de ma vie, la vénérée, celle que je chérirai sans aucune contrainte, à qui j’obéirai comme un parfait mari. A présent lancé sur le sujet des femmes, attaquons-nous à cette femme, celle qui m’ennuie et ruine ma vie. Je crois que nos parents ont été trop aveugles pour remarquer qu’elle n’était pas du tout féminine, et que jamais elle n’aurait un homme. Et bien sûr, c’est sur moi, Ô Grand Prince Cacao, que cette vermine a dû tomber. J’avais été bien heureux avant, seul et volatile. Du moins, quelque part, je le suis toujours. Ou plutôt, seuls nos parents croient que nous sommes bel et bien ensemble et que quelque chose se passe entre nous. Je sais très bien qu’elle fait tout pour me pourrir la vie, et dans un sens, je la lui détruis aussi. S’il faut devenir violent avec cette chose qui n’est ni homme ni femme, je le deviendrai, et je n’aurai aucun remord par après. Je ne sais réellement pas ce que mes parents espèrent au fond d’eux, mais une chose est sûre : ils n’obtiendront pas grand-chose d’une lesbienne et d’un gay.
Les dessins, les croquis, les tenues ; c’est un peu toute une vie. Comment puis-je voir mon futur ? Tout d’abord, aux côtés d’un homme. Un bel homme. Et ensuite, à côté de ma très chère meilleure amie. Je me vois déjà, avec elle, exposer notre talent aux côtés des plus grands, les égaler, et peut-être même les surpasser. Nous nous bâtirons cette célébrité à deux, pas l’un sans l’autre. Trop l’aimer pour la quitter ; c’est un peu cela, oui. Ainsi, pour arriver à nos fins - ou plutôt à nos débuts -, j’étudie encore le stylisme, mais pas à ses côtés, puisqu’il se troue qu’elle est mon aînée. Un jour, vous nous admirerez aux hauts de l’affiche, exhibant notre art et notre haute-couture.