Jane n'est qu'un sale petit phénomène, qui se dit coréenne et respire pourtant l'Occident à plein nez. Elle ne sait pas se tenir, devrait se renseigner sur la notion de pudeur, et surtout sur celle de la discrétion. Jane rit à plein poumon, grimace, et se vante de sa tendance à la procrastination. La belle-fille rêvée, imaginez. Et il en a toujours été ainsi : toute petite déjà, on soupçonnait la jeune fille de souffrir d'hyperactivité. Craintes infondées qui s'évanouirent bien vite, mais qui n'ôtèrent en aucun cas la fatigue que l'enfant pouvait créer dans son entourage. Oh, on ne lui en voulait pas longtemps, pourtant, car elle n'avait pas son pareil pour vous attendrir par ses grands sourires et ses petits yeux tout empli d'innocence. On ne s'étonne guère, à la regarder encore aujourd'hui, de savoir que depuis toujours, elle n'aura été que chouchoutée et outrageusement gâtée, malgré la paresse et la passivité dans lesquelles elle semble se complaire.
Elle a vu le jour à Londres, un 27 mai quelconque, dont on se rappellera même plus le temps. Sans doute pleuvait-il, après tout, nous sommes à Londres. Des années qui suivirent, elle au moins, n'en garde aucun souvenir, si ce n'est qu'elle se doute avoir été aussi choyée qu'elle l'a toujours été. Parce-qu'ils ne voulaient pas scinder leur attention et affection, Jane aura été l'enfant unique chéri, sans que jamais ils n'eurent le souhait de lui donner un petit frère ou une petite sœur, au regret, parfois, de celle-ci, qui aura souffert de cette solitude si propre aux enfants uniques. Toutefois, on ne peut décemment pas dire qu'elle n'aura pas fait en sorte d'aller chercher ailleurs ce qu'elle ne pouvait trouver au sein de son foyer : des frères et sœurs, elle en aura une des dizaines, grands et petits, tous liés par le cœur tant la petite savait prendre soin de ses amis comme personne. La famille, pour elle, aura toujours primé et restera son premier choix si elle devait un jour choisir entre sa propre personne, et « eux ». Ainsi vécu-t-elle ses toutes premières années, entourée des mêmes soucis que tous les jeunes de son âge, mais également de bien plus de plaisirs et d'affection qu'on ne saurait l'imaginer. La seule petite ombre au tableau de son enfance aura été le départ d'Amy. Amy. Petite blonde d'origine coréenne, tout comme elle, avec qui elle s'entendait à merveille depuis les toutes premières années de leur vie. Elles ne rompirent pourtant jamais le contact, et s'écrivaient très régulièrement de longues lettres où elles se racontaient le moindre petit détail de leur vie.
C'est à l'aube de ses 15 ans que son petit monde si tranquille bascula, quand on lui annonça qu'il serait bon pour elle d'aller découvrir son second pays d'origine : la Corée du Sud. Jane n'en savait que très peu de choses. Elle en connaissait la langue pour la parler régulièrement au sein de sa famille, ainsi que quelques coutumes, mais jamais elle n'y avait porté plus d'attention que cela. Pour elle, ce n'était qu'un peuple de gens coincés et sans beaucoup de personnalité, et c'est à cause de cette opinion qu'elle n'avait, d'ailleurs, jamais pu très bien s'entendre avec sa grand-mère maternelle, très attachée à un pays qu'elle avait du laisser derrière elle pour vivre avec son mari, d'origine anglaise. Mais voilà, son père, pour des raisons professionnelles, devaient aller passer quelques temps en Corée, et comptait bien y amener sa fille pour qu'elle y termine ses études. A 15 ans, on peut bien avoir tout le caractère du monde, on a rarement le dernier mot. Aussi dut-elle dire au revoir à tout ce qui était si cher à son cœur, sa famille, Londres, l'Angleterre, l'Europe. Et elle partit, tourna, dans le même temps, une page de sa vie, pour une nouvelle bien plus belle qu'elle ne le pensait alors.
Son père et elle s'installèrent chez un cousin éloigné, et à la plus grande surprise de Jane, celle-ci s'entendit très vite avec son épouse, femme d'affaires de caractère, qui la prit rapidement sous son aile. Elle ne remplaça pas, bien sûr, sa mère restée en Angleterre, mais c'est sans doute grâce à elle que la petite londonienne pu apprécier plus rapidement les charmes de son nouveau pays.
Dès les premiers jours de lycée, ses cheveux blonds et son petit caractère firent sensation, et rapidement, elle fut entourée d'une petite bande fidèle avec qui elle se trouva bien plus de point communs qu'elle n'aurait pu l'espérer. Ses plus belles connaissances furent trois jeunes filles d'un an de plus qu'elle ainsi qu'une petite diablesse d'un an de mois, qui était pourtant assise à côté d'elle en classe, après avoir sauté une classe. Toutes les cinq formèrent rapidement une petite bande reconnue dans le lycée, où chacune avait son propre caractère et toutes ses histoires. Oh, et le plus important était qu'elle avait enfin pu retrouver son adorable acolyte blonde, Amy, et qu'elle était bien décidée à la garder près d'elle pour toujours maintenant qu'elle était à nouveau entrée dans son quotidien. Il y eut aussi Sun Woo, le voisin d'en face, de deux ans plus âgé qu'elle et au caractère difficile. Il faut dire que pour lui, la vie n'avait pas toujours été rose et s'il n'était pas du genre à se plaindre, rares étaient ses sourires. Ses rapports avec Jane furent d'abord conflictuels, comme l'étaient tous ses rapports avec les « gosses de riches », puis cordiaux et ils finirent complices avant même qu'ils n'aient pu s'en rendre compte.
A l'heure d'aujourd'hui, elle est entrée à l'université sans grandes difficultés, à la surprise toutefois, de tous ses professeurs de lycée tant ses efforts quotidiens sont rares, entourée de ses cinq fidèles alliées ainsi que d'Amy, qu'elle s'est d'ailleurs chargée de protéger contre les assauts répétés de ses infernales demi-sœurs.